Aux origines de Nostra Aetate. Jules Isaac et Jésus et Israël

Jean-Dominique Durand
Edition du Cerf
Gilles Berrut
7 octobre 2025
Relecture :
Sr Marguerite Tandonnet
Inter-religieux et culturels
Histoire du christianisme
Biographies
Temps de lecture :
1
'

Aux origines de Nostra Aetate. Jules Isaac et Jésus et Israël

Sous la direction de Jean-Dominique Durand,

Éditions du Cerf, 2025, 196 p.

Nombreuses sont les personnes de 60 ans et plus qui ont eu dans leur cartable de lycéens, un manuel d’histoire de Mallet et Isaac. Au-delà de l’enseignant d’histoire reconnu dans les années 30, Jules Isaac a été l’un des pionniers de la restauration du dialogue entre juifs et chrétiens après la Shoah. Dans son livre intitulé Jésus et Israël écrit entre 1943 et 1947, Jules Isaac effectue une relecture des Évangiles, afin d’y débusquer, les racines de l’antisémitisme chrétien, par la raison et l’étude.

Ce livre « Aux origines de Nostra Aetate » rassemble les actes d’une journée d’études organisée en 2023 par l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) au Collège des Bernardins, centrée sur l’œuvre majeure de Jules Isaac, Jésus et Israël (1948). Ce livre, né de la douleur et de l’indignation face à la Shoah, a marqué un tournant dans les relations judéo-chrétiennes en dénonçant les racines religieuses de l’antisémitisme. L’ouvrage collectif, dirigé par Jean-Dominique Durand, offre une analyse pluridisciplinaire de ce texte fondateur.

Contenu et structure : une exploration en trois temps

L’ouvrage s’articule autour de trois axes : une introduction par des figures chrétiennes et juives (Mgr Pierre d’Ornellas, le Grand Rabbin Olivier Kaufmann, Guila Clara Kessous), une analyse historique de Jésus et Israël (Maud Blanc-Haymovici, Olivier Rota, Paule Marx), et des perspectives théologiques et spirituelles (Thierry Vernet, Roland Poupin, Philippe Haddad).

Un livre né de la douleur

Jules Isaac, historien et pédagogue, rédige Jésus et Israël entre 1943 et 1946, dans un contexte marqué par la déportation de sa femme et de sa fille à Auschwitz. Comme le souligne Mgr d’Ornellas, ce livre est « le cri d’une conscience indignée, d’un cœur déchiré » (p. 15). Isaac y dénonce l’enseignement du mépris, cette tradition chrétienne qui a nourri l’antijudaïsme pendant des siècles. Son approche, fondée sur une lecture rigoureuse des Évangiles, vise à rétablir la vérité historique : Jésus était juif, et le peuple juif dans son ensemble ne peut être tenu pour responsable de sa mort. Ce livre est traversé par la disparition en 1943 de Laure, son épouse, et de Juliette, sa fille et résistante qui disparaîtront à Auschwitz. Laure lui aura écrit un bref lors de son incarcération à Drancy : « Finis ton œuvre que le monde attend ». « Il est né de la persécution », écrit-il dans l’avertissement de 1946 (p. 16). Sa démarche est guidée par une « stricte probité » (p. 17), inspirée de Charles Péguy qu’il admire et qu’il cite à maintes reprises (p129).

La réception contrastée de Jésus et Israël

Olivier Rota analyse les réactions suscitées par le livre entre 1948 et 1951. Si certains, comme Julien Green, saluent son « bouleversement moral » (p. 70), d’autres, comme le père Daniélou, l’accusent de « mutiler l’Évangile » (p. 65). Les résistances sont fortes, notamment dans les milieux catholiques, où l’idée d’un peuple juif « déicide » reste ancrée. Pourtant, comme le note Paule Marx, Jésus et Israël a inspiré les « Dix Points de Seelisberg » (1947), une charte pour redresser l’enseignement chrétien sur le judaïsme (p. 85).

Maud Blanc-Haymovici montre comment Isaac, auteur des célèbres manuels scolaires Malet-Isaac, passe d’une œuvre pédagogique à une réflexion historique et théologique. Son livre, bien que critiqué pour ses « défauts méthodologiques » (p. 68), a ouvert la voie à une révision de la doctrine chrétienne, culminant au concile de Vatican II par Nostra Aetate (1965), « déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes ».

Un héritage théologique et spirituel

Thierry Vernet, prêtre catholique, souligne que Jésus et Israël a aidé l’Église à « se réapproprier deux vérités fondamentales » : la judéité de Jésus et son message d’amour (p. 95). Roland Poupin, pasteur protestant, rappelle que les réformateurs, comme Calvin, ont aussi contribué à l’enseignement du mépris, mais que des voix comme celle de Jules Isaac ont permis une « réconciliation improbable » (p. 110). Le rabbin Philippe Haddad salue quant à lui la « fraternité » de Jules Isaac, qui a su interpellé les chrétiens « avec respect et amour » (p. 125).

Idées essentielles : déconstruire l’antijudaïsme chrétien

• La judéité de Jésus : Isaac démontre que Jésus était un « simple juif » (p. 100), observant la Torah et ancré dans la tradition juive. Cette vérité, aujourd’hui admise, était révolutionnaire en 1948.

• L’accusation de déicide : L’auteur réfute l’idée d’une responsabilité collective des Juifs dans la mort de Jésus, une accusation qui a justifié des siècles de persécutions. « Le peuple juif n’est pour rien dans cette affaire », écrit-il (p. 105).

• L’urgence d’un dialogue : àappelle à une « purification » de l’enseignement chrétien, un appel entendu par Vatican II, qui condamnera l’antisémitisme dans Nostra Aetate.

Quelques remarques :

On est surpris à la lecture des actes de cette journée, par les réactions catholiques à la publication de Jésus et Israël en 1947, en particulier de deux personnes reconnues dans le milieu catholique de l’époque, telles que Jean Daniélou et Irénée Marrou, le premier affirmant, que ce livre « ne vaut rien sur le plan de la vérité historique », l’accusant de mutiler l’Évangile ! et le second faisant une critique universitaire condescendante de la qualité d’historien de Jules Isaac. On mesure alors, étant donné la grande qualité de ces deux personnalités dans leurs travaux respectifs, l’absence de compréhension du retentissement de la Shoah au sortir de la deuxième Guerre Mondiale et de la nécessité urgente qu’il y avait à repenser la relation des catholiques avec les juifs et de renouveler la lecture des Écritures à cette lumière.

Par ailleurs, il est dommage que ce livre soit intitulé « Aux origines de Nostra Aetate », car il ne s’agit pas de cela. La seule mention réelle est celle qui est faite par le Rabbin Philippe Haddad à propos la visite de Jules Isaac à Jean XXIII le 13 jouer à 1960, lors d’une audience privée. Un titre tel que « Comprendre l’héritage de Jules Isaac » aurait été plus approprié.

Ce livre rigoureux est d’une lecture aisée, malgré sa densité. Ce livre rappelle de manière claire la nécessité de lutter contre l’antisémitisme quels que soient les visages nouveaux qu’il peut prendre. Jésus et Israël n’a rien perdu de son actualité : une invitation à le lire.

Nostra Aetate

https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html

Video d'une émission sur KTO

https://www.ktotv.com/video/00098998/nostra-aetate

Jésus et Israel

https://www.laprocure.com/product/287750/isaac-jules-jesus-et-israel?srsltid=AfmBOoprv9NZOb99iq9Xcb2hD5nDO6KiqL86TYOQdbs1B1FBOHwESa2m

Les 21 proposition de Jules Isaac (pdf)

https://www.ajcf.fr/IMG/pdf/jesus_et_israel_les_21_propositions.pdf
Pour lire le livre