Basile de Césarée, une postérité monastique pour l'Europe

Olivier Delouis
Edition Beauchesne
Gilles Berrut
30 mai 2025
Relecture :
Histoire du christianisme
Patristique
Temps de lecture :
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Basile de Césarée, une postérité monastique pour l'Europe

Sous la direction d'Olivier Delouis et Annick Peters-Custot

Éditions Beauchesne, coll. Théologie historique 144, 2025

Cette publication collective, orchestrée par deux autorités reconnues du monde byzantin et de l'Italie médiévale, Olivier Delouis (CNRS, directeur adjoint de l'équipe Monde byzantin) et Annick Peters-Custot (université de Nantes, présidente du Comité français des études byzantines), représente un tournant scientifique dans l'historiographie monastique. L'ouvrage trouve sa place dans la prestigieuse collection « Théologie historique » de Beauchesne et témoigne d'une recherche approfondie menée avec le soutien de nombreuses institutions européennes.

Une démarche historiographique novatrice

L'intention première de ce volume consiste à combler une lacune historiographique en proposant une synthèse sur l'héritage monastique largement méconnu de Basile de Césarée, figure qui s'est vue reconstruite au fil des siècles. Cette approche révèle l'originalité de la démarche : établir que le « monachisme basilien » constitue davantage une invention occidentale tardive qu'une réalité historique byzantine authentique.

Les coordinateurs retracent la vie de saint Basile (vers 329-378), évêque de Césarée de Cappadoce, en soulignant paradoxalement que sa célébrité monastique repose sur des fondements ténus - lui-même n'ayant jamais été moine. Cette notoriété s'enracine principalement dans l'Askètikon, compilation ascétique complexe englobant le Petit Askètikon (ou petit recueil ascétique) (traduit par Rufin d'Aquilée vers 400) [1] et le Grand Askètikon, qui ne correspond nullement à la conception occidentale de la « règle monastique ». Les auteurs constatent qu'aucun texte, dont les oraisons funèbres de son frère Grégoire de Nissé et de son ami Grégoire de Nazianze ne font mention de ces traités de vie ascétique. Les auteurs posent la question d'une partenité d'un certain Eusthate de Sebaste, dont Grégoire de Césarée encore jeune, avait été proche.

La fabrication d'une tradition

L'étude révèle brillamment comment l'intégration de Basile dans l'univers monastique s'opéra simultanément en Orient et en Occident, grâce notamment à la traduction précoce du Petit Askètikon par Rufin d'Aquilée. Toutefois, c'est saint Benoît qui, au VIe siècle, forge le premier rapprochement en qualifiant les textes basiliens de « règle » dans le chapitre final de sa Règle, instaurant ainsi un duo de législateurs monastiques incarnant la perfection normative : Basile pour l’Orient et Benoit pour l’Occident.

Les dix chapitres d'auteurs différents explorent cette élaboration sur plus d'un millénaire. Le premier chapitre établit qu'à Byzance, une tradition monastique universellement acceptée existe bien après Basile, mais que le monachisme byzantin devient basilien faute d'alternative. Le deuxième chapitre scrute le monachisme italo-grec, dévoilant comment ces monastères, qualifiés de « basiliens » par la papauté dès le XVe siècle, ne le deviennent pas davantage qu'auparavant.

Les chapitres suivants analysent la réception de l'Askètikon dans l'Italie médiévale (chapitre 3), la création artificielle de l'ordre de saint Basile par Bessarion au XVe siècle (chapitre 4), l'échec de l'unification basilienne en Espagne (chapitre 5), et l'émergence des basiliens ruthènes comme instrument de l'Union des Églises (chapitre 6). Les chapitres 7 et 8 examinent la réception protestante et mauriste de Basile à l'époque moderne, tandis que les chapitres 9 et 10 étudient les créations orientales modernes et l'évolution de l'abbaye de la Grottaferrata en italie, fondation basilienne que Paul VI, en visite en 1963, avait qualifié de "fondation étrange et singulière mais merveilleuse".

Une démystification érudite

L'un des apports majeurs de cette recherche réside dans sa démystification scientifique de l'expression « monachisme basilien ». l'adjectif « basilien » manque de pertiLence pour caractériser le monachisme byzantin. Cette démonstration s'appuie sur une érudition notable et une maîtrise des sources.

Les contributeurs exposent minutieusement comment Basile devient progressivement un « label » occidental appliqué à des réalités monastiques orientales extrêmement variées. Cette construction dévoile autant les stratégies pontificales post-tridentines que les mécanismes de l'orientalisme ecclésiastique.

Une travail de référence

Cette publication constitue un apport important à l'histoire du monachisme européen et aux études byzantines. Elle renouvelle radicalement notre appréhension de la transmission des héritages patristiques et propose un modèle méthodologique pour l'histoire des constructions identitaires religieuses. Par sa rigueur académique et l'étendue de sa documentation, elle s'impose comme une référence majeure qui éclaire sous un angle inédit les relations complexes entre Orient et Occident chrétiens sur plus de mille ans.

1 : Le petit recueil ascétique existait seulement dans une édition de l’abbaye de Bellefontaine aujourd’hui fermée. Petit recueil ascétique : Inventer une vie en fraternités. Selon l'Évangile de Basile de Césarée. Abbaye de Bellefontaine, 2013.

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