Devenir plus intelligent, c'est possible !
François-Marie Portes,
Éditions du Cerf, Paris, 2025, 182 p.
Une méthode intellectuelle puisée aux sources de la pensée classique
Professeur de philosophie à l'Ircom Lyon et titulaire d'un doctorat de la Sorbonne, François-Marie Portes livre avec ce dernier opus une approche pragmatique de l'amélioration des facultés intellectuelles. Déjà remarqué pour ses précédentes publications - notamment La femme au Moyen-Age : Aristote contre l'Évangile (Cerf, 2022) et Sexe, Gender et Identités (2023) - ainsi que par sa forte audience sur les plateformes numériques, l'auteur s'attaque à une problématique universelle : peut-on véritablement développer son intelligence ?
L'architecture du livre repose sur un triptyque fondamental : savoir définir, bien énoncer, correctement argumenter. Dès ses premières pages, Portes affiche clairement ses références : "Platon, Aristote, Sénèque, Augustin, Albert le Grand, Bonaventure et Thomas d'Aquin", qu'il considère comme les véritables architectes de notre héritage intellectuel occidental.
Structure et développements principaux
Ce qui distingue fondamentalement cette approche des manuels habituels de développement personnel tient à sa conception rigoureuse de l'intelligence. Rejetant les approximations étymologiques courantes ("relier entre elles") ou les simplifications abusives, Portes élabore une vision dynamique de l'activité intellectuelle. Celle-ci progresse selon lui par phases distinctes : assemblage conceptuel, négation de ces assemblages, puis évaluation de leur validité. Cette progression, d'inspiration aristotélicienne, irrigue l'ensemble de son raisonnement.
Le chapitre dédié aux définitions présente "les 10 clés pour définir" en établissant minutieusement la distinction entre substance et propriétés accidentelles, conformément à la métaphysique traditionnelle. L'auteur dénonce systématiquement les "mauvaises définitions" : descriptions déguisées en définitions, approches métaphoriques trompeuses et raisonnements circulaires. Il privilégie la nécessité de "bien cerner le sujet" face aux "émotions qui masquent le réel" et à "la précision qui rend confus".
Le volet consacré à l'énonciation reprend l'adage classique selon lequel "ce qui se conçoit bien s'énonce clairement", en différenciant l'aspect qualitatif de l'aspect quantitatif des propositions. Quant à l'argumentation, elle encourage à "évaluer l'expertise de celui qui parle" tout en préservant la frontière entre adhésion rationnelle et manipulation émotionnelle.
Place dans le parcours intellectuel de l'auteur
Ce manuel prolonge naturellement les recherches antérieures de Portes. Sa thèse consacrée aux conceptions médiévales du féminin révélait déjà une sensibilité épistémologique marquée : de quelle manière nos cadres conceptuels façonnent-ils notre appréhension du réel ? Son analyse de l'identité sexuelle transposait cette grille de lecture aux controverses actuelles. Le présent volume universalise cette méthode en offrant une boîte à outils intellectuelle d'inspiration thomiste destinée à "tous ceux qui cherchent la vérité".
L'omniprésence de Thomas d'Aquin, déjà présent dans ses travaux précédents,est convoqué ici pour la définition de la "sottise" comme "engourdissement du cœur et obscurcissement des sens", attestant de sa fidélité à l'anthropologie philosophique du Moyen Âge.
Évaluation critique
La valeur première de cet ouvrage réside dans sa capacité à démocratiser un patrimoine philosophique souvent perçu comme hermétique. En offrant une "synthèse, certes lacunaire, mais donnant les règles de base de la pratique intellectuelle", Portes parvient à dégager de la scolastique des instruments utilisables pour l'exercice contemporain de la rationalité.
La métaphore œnologique qui clôt le volume - la sagesse comme apprentissage du "goût intellectuel" - témoigne de cette efficacité pédagogique qui traverse l'ensemble du propos. L'auteur revendique d'ailleurs explicitement cette orientation vulgarisatrice, estimant que "l'art précède souvent la science" et qu'une "synthèse" peut s'avérer "plus utile qu'une somme de logique".
Néanmoins, l'ouvrage écarte les débats philosophiques contemporains (hormis quelques critiques du "complotisme") en particulier les acquis de l'épistémologie récente ou des neurosciences cognitives.
Bilan
Devenir plus intelligent, c'est possible ! représente un apport singulier au domaine de la vulgarisation philosophique. En proposant une trousse de secours intellectuelle ancrée dans l'héritage aristotélico-thomiste, François-Marie Portes présente une alternative consistante aux techniques de développement personnel en vogue. Ce travail manifeste une authentique volonté pédagogique et une solide maîtrise des sources fondatrices de la pensée occidentale.