initier à la vie chrétienne. un chemin de conversion

Roland Lacroix
Edition le Cerf
Gilles Berrut
31 juillet 2025
Relecture :
Spiritualité
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Initier à la vie intérieure : un chemin de conversion

Actes des Assises œcuméniques du catéchuménat, Institut catholique de Paris, 2024, 253 p.

Ce Livre est le fruit des Assises œcuméniques du catéchuménat qui se sont déroulées de 2021à 2024 au sein du Cycle des Études du Doctorat (CED) de la Faculté de théologie de l'Institut Catholique de Paris.

Rassemblant des doctorantes et doctorants de différentes nationalités et provenances ecclésiales, ce séminaire avait pour objectif, selon son intitulé, de sonder«la conversion dans l'axe fondamental de la foi ». Il s'agissait ainsi d'approfondir la notion de conversion et sa prise en compte dans les médiations ecclésiales. L’augmentation récente du nombre de de baptême d’adultes en légitimant l’actualité.

Le livre est structuré en 4 parties : expériences de conversion (approches psychologique et sociologique), tradition chrétienne biblique et patristique, diversité des pratiques d'accompagnement selon les confessions (orthodoxe, protestante, catholique), dimension ecclésiale et missionnaire.

En pratique, ce séminaire mettait en commun des recherches interdisciplinaires menées parles étudiants doctorants, issus de disciplines et de confessions chrétiennes différentes. Après un état de la question sur les plans historique, sociologique, exégétique et théologique, la première année, la seconde année se poursuivait par l’étude des sources issues des Écritures, des rituels, d’une littérature chrétienne antique, et du Magistère. La troisième année ce sont tenues les Assises. Il est apparu important d'aller plus loin dans la réflexion, en interrogeant de plus près quelques théologiens de différentes confessions chrétiennes, ainsi que des sociologues, afin de structurer une réflexion en théologie fondamentale.

Pierre-YvesBrandt (p18) relève à la suite de Pierre Hadot que le terme conversion, du latin conversio, traduit à la fois deux termes grecques metanoïa (qui signifie changement de pensée) /epistrophê (changement d’orientation). Convertissez-vous (metanoesate), donc et revenez (epistropsate) à celui qui efface vos péchés (Ac 3,19).

Ainsi conversion intègre de dimension qui, selon les situations se complètent ou s’opposent. D’une part une rupture avec le passé, et un retournement qui peut être fidélité au passé, un verset des actes des apôtres, les cite ensemble : Convertissez-vous (metanoesate), donc et revenez(epistropsate) à celui qui efface vos péchés (Ac 3,19).

 

 Selon les situations, les trajectoires de vie ou l’approche narrative, une conversion obéit à des temporalités différentes. Brièvement, on peut distinguer la conversion comme évènement subit, telle la conversion de Paul à Damas, en est le modèle. Et, la lente maturation qui non seulement est une conversion, mais aussi un chemin exigeant qui permet d’affirmer le kerigme en en assumant toutes ses dimensions. La conversion de Saint Augustin dans les confessions en est l’autre modèle.

En sociologie, le convertis à la suite des travaux de Danièle Hervieu-Léger, fait de la figure du converti, un idéal type de la modernité religieuse, page 40 . À partir des années 60, les travaux de sociologie sont dominés par ceux réalisés aux États-Unis alors que de nouveaux mouvements religieux émergeaient. Certains aspects sont différents de ce qui se vit en France aujourd’hui. Mais cette prééminence des travaux Outre-Atlantique laisse en quelque sorte en jachère la question de la conversion dans un pays où domine par une laïcité militante, comme en France. On peut regretter que cet aspect ne fasse l’objet que d’un court texte (p53), sans référence à des travaux originaux. Sans doute un champ d’études à ouvrir à l’avenir dans les écoles doctorales.

La conversion dans la tradition chrétienne revient longuement sur le modèle paulinien, mais en soulignant que, la conversion est une réponse à un appel par un dialogue. Ce dialogue est largement présent également dès le premier testamentDans l’appel de Samuel (1 S 3,2–10), celui de David (1R 16,13) ou du prophèteAmos (Am 7, 14-15). On le retrouve dans l’appel des disciples par Jésus chezLuc (Lc 9,57–61).

Les conversions de l’Antiquité Tardive sont représentées par un récit de la conversion de Prophyre de Gaza (347–420). Cet hagiographie, montre la place prépondérante de l’évêque local et des prêtres accompagnateurs des catéchumènes, et surtout la place de la conversion comme vecteur de transformation sociale de la cité dans ce christianisme qui émerge des persécutions.

Un chapitre est consacré aux conversions dans l’itinéraire des moines et des moniales.Il laisse place à des témoignages de celui du frère Hippolyte, qui affirme :« une chose est de connaître Dieu, parce qu’on a parlé de lui et une chose et de faire l’expérience de son mystère ».

La dimension œcuménique constitue un atout de ce travail collectif. Les présentations des pratiques orthodoxes, protestantes et catholiques révèlent une convergence remarquable dans l'accompagnement des convertis, chaque tradition apportant ses spécificités dans une unité fondamentale. La conversation-dialogue est explorée par Christophe Raimbault dans les Écritures et en particulier à travers l’événement paulinien de Damas qui est qualifié de conversion-vocation.

Catherine Fino dans un chapitre passionnant aborde la relation de tension entre morale et catéchuménat. Ce texte aborde une question cruciale pour l'Église contemporaine: comment accompagner la conversion morale des catéchumènes après la crise des abus qui a remis en question « l'expertise en humanité » revendiquée par l'institution ecclésiale ? L'auteure refuse de fermer cette question et propose plutôt d'explorer les conditions dans lesquelles un tel accompagnement demeure possible et fécond. La réflexion s'articule autour de trois postures complémentaires, toutes nécessaires à une authentique conversion morale. La première consiste à rencontrer le Christ comme figure de l'homme en sa plénitude d'humanité et de sainteté. La deuxième posture invite à s'initier au sein d'une communauté chrétienne qui favorise la prise de responsabilité personnelle jusqu'au discernement moral. La troisième posture consiste à savoir user avec discernement des ressources normatives et casuistiques de la tradition. L'auteur retrace l'évolution de la casuistique, d'une approche initialement rigoriste vers une position plus miséricordieuse, illustrée par le parcours d'Alphonse de Liguori. Il souligne l'importance de la « loi de gradualité » qui reconnaît le temps nécessaire pour croître moralement et changer ses pratiques. L'auteur conclut en présentant une vision de la morale chrétienne comme « morale souple mais non sans boussole », contextuelle dans son visage concret mais fondée sur une source commune et tendue vers l'advenue du Royaume.Cette approche donne à la conversion chrétienne le visage de l'espérance, permettant de surmonter les découragements liés aux échecs personnels et ecclésiaux.

Accompagner les convertis est un sujet difficile abordé par Roland Lacroix. Ce texte présente le RICA (Rituel de l'initiation chrétienne des adultes), promulgué en1996, qui propose un itinéraire liturgique structuré pour accompagner la conversion des catéchumènes. Chaque accompagnement s'ajuste au cheminement personnel unique de chaque converti tout en suivant des étapes liturgiques précises : entrée en catéchuménat, temps du catéchuménat avec ses rites, purification et illumination, puis mystagogie. L'originalité de ce rituel réside dans l'articulation entre Parole de Dieu et rites vécus en communauté.Les catéchumènes découvrent que devenir chrétien ne consiste pas à acquérir des vérités mais que la vérité - le Christ - les soutient depuis le début. La conversion est comprise comme un processus de maturation pouvant s'étaler sur plusieurs années, manifesté par le changement d'appellation des candidats à chaque étape.L'initiation se vit comme expérience liturgique corporelle où la foi passe parles gestes, rites et objets sacrés. Les célébrations de la Parole occupent une place centrale, incluant exorcismes (pour soutenir le renoncement),bénédictions (apportant courage et paix) et onctions d'huile (signifiant l'accompagnement du Christ). Les scrutins du carême, tissés avec les récits johanniques, initient au combat spirituel permanent de la vie chrétienne.

Tout l'itinéraire constitue une expérience progressive du mystère pascal qui se dévoile sans jamais se laisser totalement saisir. Cette expérience paradoxale du salut - à la fois déjà donné et toujours en attente - initie à la temporalité chrétienne du "déjà là" et du "pas encore".L'auteur souligne que cet itinéraire ne trouve sa cohérence que s'il devient aussi un chemin de conversion pour toute la communauté, les baptisés renouvelant leur propre conversion aux côtés des catéchumènes.

Certaines affirmations auraient demandé des regards critiques. Par exemple, la reprise d’une affirmation de Mario Forget (p 33) qui affirme qu’une conversion authentique va changer en profondeur la personnalité au niveau intellectuel, moral et affectif. On pourrait s’attendre à une position plus nuancée car ce changement présenté comme obligatoire vient à l’encontre de ce que l’Église affirme dans la rencontre du Christ et qui surprend dans la compréhension de la nature d’une personnalité en langage psychologique.

Ce livre par sa construction et son projet peut sembler aborder des sujets sans rapport entre eux. Mais, par ce moyen, il a l’avantage de donner une sorte d’état des lieux de cette question. Ces actes marquent une étape dans la compréhension contemporaine du catéchuménat. Ils offrent aux théologiens et praticiens des outils précieux pour repenser l'accompagnement des conversions dans nos sociétés sécularisées, tout en respectant la spécificité du mystère chrétien de la conversion comme « chemin vers la communion ».

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