Remi Brague,
La morale remise à sa place,
Gallimard, 2024, 137 pages,
Comme à son habitude Remi Brague met à la disposition de tous des idées simples et lumineuses avec une érudition époustouflante. Ici, dans ce petit livre, il dit en peu de pages l’essentiel de la question morale. Il ne la prêche pas, ne fait pas un traité de morale et se demande même s’il faut défendre celle-là plutôt que celle-ci considérant qu’en somme il n’y en a qu’une avec des variantes. Alors que fait-il ? Il clarifie, il classe, il précise les termes et conditions.
Il part du principe suivant : la morale est grosso modo la même pour tous mais, selon les époques, l’accent est mis sur tel aspect ou tel autre. On retrouve un peu partout les mêmes « grandes règles du bon comportement » (p. 105) Ainsi l’esclavage, critiqué et même combattu en Occident, fut, partout et depuis toujours, une pratique courante. Et cette morale qu’est-elle ? Elle nous ajuster nos actions vis-à-vis d’autrui, d’être un sujet responsable. Notons, en Occident chrétien, un tournant vers l’intériorité pris au XI-XII eme siècl. Elle permet d’établir des règles valables pour tous. Ces trois règles vont ensemble. L’auteur distingue alors trois modèles d’éthique : un modèle politique d’intégration à la cité par l’acceptation de règles commune ; un modèle dit « ascétique » pour sortir de la cité considérant que la vraie vie est ailleurs ; et un modèle légaliste quand la religion dit aux individus que faire et comment le faire considérant que « la loi » vient de Dieu.
Quant à la « morale chrétienne » elle aussi elle est remise à sa place. Est-elle particulière ? Non. Elle est celle de tout le monde. Mais, contrairement à celle des deux autres monothéismes, elle n’édicte aucuns préceptes ou aucunes règles à suivre pour se nourrir, se vêtir ou honorer Dieu. Elle instaure cependant deux novations : le jugement ne porte pas sur les actes mais sur l’intention et, d’autre part, elle élargit la figure du « prochain » à tous les hommes et femmes – comme dans la parabole du « bon samaritain ». Alors tout devient plus incertain. Comment aimer sans mode d’emploi avec une exigence impossible à atteindre ? Comment, sinon en étant l’ami de la vérité et l’ami du Christ ! Comment, sinon par la « charité », par « l’acte de charité qui nous met ipso facto en Dieu » Dès lors « ce n’est pas l’effort moral qui obtient (« mérite ») le salut. C’est la grâce qui produit en nous une conversion » (p. 86). Dès lors, « c’est par l’exercice de la charité que se réalise l’imitation d’un Dieu qui est charité ». Et cet exercice n’est pas mesurable, comme si nous montions de paliers en paliers. Et Dieu lui-même, comme le dit Bernard de Clairvaux est soumis à une loi, « la loi de la charité » (p. 93)
Cette clarification est d’autant plus nécessaire que nous sommes confrontés à deux dangers. Régulièrement nous sautent à la figure toutes ces affaires de perversion sexuelle faites par ceux-là même qui faisaient par ailleurs la promotion de la « morale chrétienne ». Il est bon de remettre à sa place la morale pour mieux remettre à leur place ces pervers en col romain. Second danger : un moralisme (celui des « wokes » pour faire vite) travaille notre époque et tend à s’imposer au détriment de la justice des hommes, comme plus rien ne comptait que ces injonctions morales contre les « dominants » ou les « prédateurs ». Revenons-en à cette simple morale commune considéré par l’auteur comme ce « kit de survie de l’humain sans lequel une société, voire l’humanité toute entière, serait menacée de disparition » (p. 115)