La paix, une épreuve

Paul Valadier
Edition Loyola
Gilles Berrut
25 mai 2025
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Essai
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La paix, une épreuve
Paul Valadier,
Éditions Loyola, 2025, 172 p.

Dans son dernier ouvrage La paix, une épreuve, Paul Valadier prolonge sa réflexion sur les rapports complexes entre sphère politique et dimension religieuse, dans un contexte international marqué par de profondes mutations. Ce philosophe jésuite, professeur émérite au Centre Sèvres et figure respectée de l'intellectualité catholique française, né en 1933, enrichit ici son corpus d'une analyse particulièrement actuelle. Spécialiste reconnu de la pensée nietzschéenne, il a notamment publié Détresse du politique, force du religieux (Seuil, 2007), Morale en désordre (Seuil, 2002), ainsi que récemment Ce qui nous fait tenir en temps d'incertitude (Mame, 2021) et Éloge de la religion (Salvator, 2022).

Un constat sans complaisance sur notre époque troublée

D'emblée, l'auteur pose les enjeux : tandis que les pères fondateurs européens aspiraient à "abolir la possibilité de la guerre entre Européens", les tensions actuelles démontrent cruellement que "la paix reste menaçante à ses frontières orientales". Valadier forge le concept de "paix hybride" pour décrire cette "situation géopolitique qui n'est ni la guerre à proprement parler avec utilisation des armées et mobilisation générale, ni la tranquillité sereine entre peuples".

Cette grille d'analyse révèle une préoccupation majeure : comprendre comment "une menace indistincte pesait sur nos épaules, insaisissable, latente, source d'une inquiétude qui trouble les esprits". Le penseur identifie dans ces modalités inédites de conflictualité - depuis la désinformation jusqu'aux "guerres par morceaux" - un défi sans précédent pour la réflexion politique classique.

Une construction méthodique autour de six interrogations

L'architecture du livre s'articule rigoureusement en six chapitres thématiques. Le premier, "Indéfinissable paix", pose comme principe que "la paix est essentiellement une réalité fragile, toujours menacée". Valadier y formule une critique implicite des théories contractuelles, observant que même les "États souverains" échouent désormais à "protéger d'une telle violence" leurs populations.

Les développements suivants scrutent tour à tour les "guerres en morceaux", les "instances internationales", puis les "ambiguïtés des religions". Cette dernière partie constitue un temps fort de la démonstration, où Valadier interroge sans détour le paradoxe des confessions qui "souhaitent généralement la paix" mais "se combattent entre elles".

Le cinquième chapitre revisite la problématique classique "Guerre juste ou pacifisme ?", tandis que le dernier développe une approche originale sur "les religions monothéistes et la paix", récusant l'idée reçue selon laquelle elles constitueraient "des foyers de violence".

Des perspectives théologico-politiques novatrices

La singularité de Valadier tient à sa faculté d'articuler examen géopolitique et méditation théologique. Sa relecture de la "Terre Promise" illustre excellemment cette démarche. Récusant les lectures territorialistes, il démontre que "ce n'est pas la Terre qui est première, mais bien l'Alliance". Jésus propose selon lui "une interprétation adéquate" en évoquant le "Royaume de Dieu" qui "n'a pas d'armée, pas de frontières, pas d'administration".

Cette herméneutique autorise l'auteur à formuler sa proposition centrale concernant la "fraternité universelle". Contrairement aux particularismes religieux, le christianisme annonce qu'"en Christ, il n'est plus ni homme ni femme, plus ni maître ni esclave, ni païen ni de juif, mais des fils et des filles d'un même Père". Cette perspective fonde pour Valadier une voie alternative face aux mécaniques de domination.

Une apologie mesurée du fait religieux

Confronté aux "accusations massives" visant les monothéismes, Valadier déploie une argumentation sophistiquée. Il dénonce les "faiblesses de l'accusation" formulée par le "tard venu" qui "exerce cet impérialisme du vrai qu'il reproche tant aux autres". Cette contestation du relativisme contemporain s'enracine dans une familiarité approfondie avec Nietzsche, permettant à l'auteur d'esquiver les travers apologétiques habituels.

L'examen des "empires de la violence" expose la complexité des relations entre religion et politique. Valadier établit comment certaines lectures dénaturent les corpus sacrés, tout en défendant la capacité des héritages religieux à alimenter une recherche authentique de paix.

Questionnements méthodologiques et réserves critiques

Bien que l'érudition de Valadier force l'admiration, certaines limites méritent discussion. L'approche parfois défensive tend à atténuer les responsabilités historiques des institutions religieuses dans les conflits. L'analyse géopolitique, quoique documentée, demeure souvent générale et peine parfois à saisir la complexité des enjeux contemporains.

De surcroît, la synthèse entre philosophie politique et théologie, bien que féconde, génère occasionnellement des raccourcis interprétatifs. La lecture christologique de la paix, centrale dans le raisonnement, risque de restreindre la portée universelle du discours.

Une contribution remarquable au débat actuel

En dépit de ces réserves, La paix, une épreuve représente un apport considérable à la réflexion contemporaine. Valadier y confirme sa maîtrise des questions théologico-politiques, forgée par des décennies d'enseignement et de recherche. Ancien rédacteur en chef de la revue Études et directeur des Archives de philosophie, il mobilise ici toute son expérience pour éclairer les enjeux actuels.

La conclusion, qui prône un "désarmement moral et spirituel", résonne particulièrement dans notre contexte troublé. L'auteur y rappelle que "la vraie paix promise n'est pas de ce monde", tout en soulignant l'urgence d'un engagement déterminé pour "l'entente entre chacun et entre tous".

La paix, une épreuve s'affirme ainsi comme un ouvrage indispensable pour appréhender les défis contemporains de la paix dans leurs dimensions spirituelles et politiques. Il confirme Paul Valadier comme une figure majeure de l'intelligentsia catholique française, sachant allier rigueur philosophique et exigence spirituelle face aux interrogations de notre époque.

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