

Pierre-Alain Coffinier, ex-consul général de France à Ekaterinbourg, nous ouvre les portes d’une Russie méconnue, celle des provinces, des villes industrielles et des jeunes en quête de liberté. À travers ses Carnets d’un « agent de l’étranger », il nous livre un récit à la fois personnel et percutant, où se mêlent observations fines, rencontres marquantes et analyses sans concession. Ce n’est pas un essai politique aride, mais le portrait vivant d’une société prise en étau entre la résignation et l’espoir, entre la peur et la révolte.
Coffinier ne se contente pas de décrire la Russie de Poutine vue de Moscou. Il nous emmène dans l’Oural, cette région charnière entre l’Europe et l’Asie, où se joue une autre réalité, plus authentique, plus contrastée. « Que pensent les Russes dans la tourmente actuelle ? » (p. 19) : telle est la question qui traverse son livre. Et la réponse n’est pas simple. Car si les sondages officiels prétendent que la population soutient massivement le Kremlin, l’auteur, lui, montre une tout autre image. « Ils s’y résignent » (p. 26), écrit-il, soulignant que derrière l’apparente unanimité se cachent des frustrations profondes, des colères étouffées, des aspirations inavouées.
Ce qui frappe, c’est la diversité des voix qu’il fait entendre. Il y a les jeunes urbains, connectés, avides de liberté, qui manifestent malgré le froid et la répression. Il y a les ouvriers des usines, les fonctionnaires, les médecins, tous pris dans l’engrenage d’un système qui les broie. « La Russie n’est pas si solide » (p. 22), affirme-t-il, rappelant que les régimes autoritaires, aussi puissants qu’ils paraissent, finissent toujours par vaciller.
L’un des chapitres les plus marquants est celui consacré à la jeunesse. « La génération Internet » (p. 60), comme il la nomme, incarne l’espoir d’un changement. Ces jeunes, éduqués, branchés, refusent l’héritage soviétique et la propagande d’État. « Pour eux, Poutine est ringard » (p. 62), note-t-il avec une pointe d’ironie. Ils rêvent d’Europe, de démocratie, de mobilité sociale. « 44 % des 15-29 ans voulaient quitter le pays en 2021 » (p. 64), un chiffre qui en dit long sur leur désillusion.
Mais leur combat est semé d’embûches. Entre la censure, les arrestations et une économie qui ne leur offre aucune perspective, leur révolte reste fragile. Pourtant, Coffinier insiste : « Ils n’aspirent qu’à la fin de cette guerre et au retour des relations avec l’Europe » (p. 26). Et c’est cette soif de liberté qui rend son récit si poignant.
Le livre dépeint aussi un système à bout de souffle. Poutine, isolé, « s’est coupé du monde » (p. 48) pendant la pandémie, ressassant ses craintes. « Il craint le peuple russe » (p. 22), écrit Coffinier, et cette peur est palpable. La corruption, les inégalités, la répression : tout concourt à alimenter un mécontentement latent.
Les anecdotes de l’auteur sont révélatrices. Comme cette plaque d’immatriculation « 007 » transformée en « preuve » de son statut d’« agent de l’étranger » (p. 18), ou encore les manifestations contre la reconstruction d’une cathédrale imposée par le Kremlin (p. 38). « Les oligarques pillent le pays » (p. 50), dénonce-t-il, montrant comment une poignée de privilégiés s’enrichit tandis que le reste de la population s’appauvrit.
Ce qui rend ce livre si captivant, c’est son ton. Coffinier écrit comme il parle : avec franchise, parfois avec humour, toujours avec passion. Son style est fluide, accessible, loin du jargon diplomatique. « Je livre mes observations prises sur le vif » (p. 25), précise-t-il, et c’est cette authenticité qui séduit.
À l’heure où la Russie occupe une place centrale dans les tensions internationales, Le Malaise russe est une lecture essentielle. Coffinier ne se contente pas de décrire : il explique, il questionne, il espère. « Il faut se préparer à la page d’après » (p. 22), écrit-il, rappelant que l’histoire n’est jamais écrite d’avance.
En définitive, ce livre est un hommage à une Russie autre, une Russie européenne, démocratique, que l’auteur croit possible. « Ils redeviendront un jour des amis proches » (p. 26), prédit-il. Et c’est cette conviction, plus que tout, qui donne à son récit sa force et sa beauté.