Le Mondial du dopage. Les coulisses du sport business
Anne de Bongain,
Éditions du Cerf, 2025, 187 p.
Rarement un ouvrage aura-t-il su éclairer avec autant de précision les zones d'ombre du sport contemporain. Anne de Bongain, actuellement en préparation de thèse au sein de l'équipe sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers, livre ici une analyse criminologique inédite qui bouleverse notre perception du milieu sportif de haut niveau.
Une architecture démonstrative claire
L'auteure structure sa démonstration selon une progression logique en trois temps. D'emblée, elle questionne l'évidence apparente dans son premier chapitre : « Pas de sport sans tricherie ? ». Cette interrogation liminaire permet d'établir les fondements conceptuels nécessaires à la compréhension des mécanismes pervers à l'œuvre. Bongain y décortique minutieusement « la synergie existant entre l'éthique, la performance et le monde de l'illicite », révélant comment « cette inflation événementielle s'est accompagnée d'une augmentation exponentielle des gains dérivés du sport, à tel point qu'aujourd'hui, le marché sportif génère 2 % du PIB mondial ».
La deuxième partie, « Des performances glorieuses pour des issues tragiques », constitue indéniablement le pivot argumentatif de l'ensemble. L'auteure y dévoile un paradoxe saisissant qui traverse l'institution sportive moderne : « Décider de mettre en place une lutte antidopage dans le simple objectif de rassurer un public qui se doute tout de même que les athlètes ne concourent » véritablement à conditions égales traduit une hypocrisie institutionnelle manifeste. Cette observation s'enrichit d'un constat médical troublant : « Il y a de plus une réelle absence de consensus dans la sphère médicale et scientifique internationale concernant les dangers et les conséquences du dopage ».
Le dernier volet, intitulé « Une transparence révélatrice », lève le voile sur les interconnexions complexes entre pratiques dopantes et réseaux criminels organisés. Les données chiffrées présentées impressionnent par leur ampleur : « Selon l'OMS, 50 milliards de dollars annuels sont destinés à l'achat de médicaments et jusqu'à 25 % sont perdus à cause d'actes frauduleux ». L'aspect économique du phénomène apparaît plus clairement encore dans cette estimation : « L'Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments estime qu'investir 1 000 dollars dans le trafic de médicament rapporterait entre 200 000 et 450 000 dollars. Ce trafic serait ainsi 10 à 25 fois plus rentable que le trafic de drogues ».
Un ancrage dans la tradition criminologique française
Cette publication s'inscrit naturellement dans le sillage des recherches criminologiques hexagonales, notamment celles initiées par Alain Bauer, auteur d'une quarantaine d'ouvrages sur la criminalité, et Xavier Raufer (né Christian de Bongain), criminologue reconnu ayant publié plus d'une vingtaine d'ouvrages traitant de criminalité et de terrorisme. Néanmoins, Anne de Bongain se démarque en appliquant ces méthodes d'investigation à un secteur demeuré largement inexploré sous l'angle scientifique.
Cette originalité, l'auteure la revendique explicitement : « Car une lecture attentive du corpus le démontre : sur ce sujet, du moins dans le champ du pénal ou de la criminologie, nul ouvrage ne précède le mien ». Cette assertion trouve sa légitimité dans l'approche géopolitique développée, qui s'inspire certes des travaux antérieurs mais les transpose spécifiquement à l'univers du sport-business.
Les lignes de force théoriques
Trois axes majeurs structurent la réflexion développée par Bongain. En premier lieu, elle procède à une déconstruction méthodique de l'idéal sportif traditionnel. Sa démonstration établit que « les fondamentaux du sport contemporain tiennent aux enjeux géopolitiques bien plus qu'aux idéaux ou aux valeurs d'éthique sportive ». Cette analyse trouve un écho particulièrement pertinent dans la citation d'Orwell qu'elle mobilise : « Pratiqué avec sérieux, le sport n'a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence : en d'autres termes, c'est la guerre, les fusils en moins ».
Par ailleurs, l'auteure propose une interprétation novatrice de la lutte antidopage, qu'elle présente comme un dispositif de « paix sociale », conçu essentiellement pour « ne pas choquer le public avec des morts retransmises en direct à la télévision ». Cette perspective trouve son origine dans l'événement tragique de 1960 avec la disparition de Knud Enemark Jensen, « premier incident majeur et médiatisé des Jeux olympiques où la prise de produit dopant soit indirectement mise en cause ».
Enfin, l'ouvrage révèle l'existence de véritables filières criminelles : « Ce trafic est d'ores et déjà extrêmement bien organisé » et profite largement de « l'absence d'informations et d'enquêtes approfondies de la part des forces de l'ordre à l'échelle nationale et internationale ».
Bilan critique nuancé
L'ouvrage présente indiscutablement des qualités remarquables. La documentation rassemblée témoigne d'un travail de recherche considérable, tandis que l'approche méthodologique révèle une maîtrise certaine des outils criminologiques contemporains. L'angle géopolitique retenu permet opportunément de dépasser les discours moralisateurs habituels pour révéler les véritables enjeux économiques et politiques sous-jacents. La mise au jour des connexions entre dopage et criminalité organisée constitue sans conteste l'apport le plus novateur et le plus convaincant de cette recherche.
Cependant, certaines faiblesses méritent d'être soulignées. L'absence de données empiriques inédites limite quelque peu la portée démonstrative de plusieurs assertions avancées. Par moments, l'approche tend vers un déterminisme qui minimise les initiatives positives et les résistances observables dans l'univers sportif contemporain. De surcroît, les pistes de réforme concrètes demeurent insuffisamment étoffées au regard de la gravité du diagnostic établi.
Malgré ces réserves, l'ouvrage d'Anne de Bongain représente indéniablement une contribution majeure à l'intelligence criminologique du sport actuel. En dévoilant « les silences derrière certaines pratiques », l'auteure inaugure un champ de recherche particulièrement prometteur et pose les fondements d'une réflexion indispensable sur l'avenir du sport de haut niveau confronté aux défis de la mondialisation criminelle.