Voici un petit livre qui déplace nos idées concernant la place de l’argent dans le Nouveau Testament et dans la pratique des premières générations de croyants. Ce livre, d’un historien spécialiste des premiers siècles chrétiens, se veut simple (sans note de bas de page pour justifier les affirmations, ce qui est dommage) et percutant en affirmant très fortement que la tradition chrétienne n’est pas un mépris pour l’argent en tant que tel mais pour son appropriation privative. La propriété privée n’est pas abolie mais l’Evangile appelle au partage pour la prédication et le soutien des pauvres. Jésus ne porta aucun jugement fondamentalement négatif sur l’argent mais sur son accumulation et sa thésaurisation (p 54) : le partage fraternel est la meilleure façon de l’utiliser.
L’ouvrage commence par nous rappeler que Jésus (ou Pierre) avait une maison à Capharnaüm où il demeure et reçoit ses disciples. Cette maison et la vie communautaire qui semble y avoir été de mise ont été financées par des amis et des disciples. J. Cornillon nous invite à distinguer la pauvreté individuelle de Jésus et des apôtres d’une pauvreté de la communauté. Chacun des disciples est invité à se déposséder d’une partie de ses biens au profit des pauvres et de la mission, et surtout à ne pas s’enrichir personnellement grâce à la prédication. C’est là l’interdit majeur. Le renoncement à la propriété privée est compensé par une forme de propriété communautaire.
En commentant la multiplication des pains, J. Cornillon souligne la capacité de la communauté à aller acheter ce dont elle a besoin pour ses activités caritatives (p 37 et s) mais Jésus propose aux disciples de sortir de cette problématique trop matérielle. Il semble donc qu’il y avait une caisse commune dont le Nouveau Testament fait souvent mention. Cette caisse est financée par de riches personnages (souvent des femmes) dont l’auteur fait la liste (p 92). Si Jésus interdisait toute propriété privée à ceux qui prêchaient avec lui, il encourageait ses partisans à s’en détacher pour aider la mission selon sa décision propre.
Après la résurrection, une nouvelle forme d’organisation se met en place mieux adaptée à la vie sédentaire (cf. actes 2 et 4) des chrétiens. Reprenant les textes des sommaires des Actes des apôtres et l’épisode d’Ananie et Saphire, J. Cornillon en conclut que les croyants peuvent disposer de leurs biens mais que leur usage devenait prioritairement communautaire : ils devaient permettre de répondre aux besoins des pauvres en mettant leurs biens à la disposition des communautés.
L’auteur analyse les quêtes que sollicite Paul qui servent à la solidarité entre les communautés chrétiennes naissantes et à prendre en charge les pauvres. Chacun devait avoir à cœur d’être généreux mais il n’y avait pas de mise en commun obligatoire de tout. Paul lui-même participait par son travail manuel au financement de sa mission pour rester libre, ce qui ne semble pas apprécié par tous les apôtres qui dépendaient des aides reçues par les membres des communautés. Mais Paul a été obligé d’utiliser ces mêmes ressources pour ses voyages. J. Cornillon conclut sa réflexion en affirmant, contre les idées reçues, que les premières communautés ne rassemblaient pas que des pauvres mais qu’elles avaient toutes le souci prioritaire de la souffrance des pauvres (p 101).
L’auteur s’interroge ensuite sur l’organisation économique jusqu’au III° siècle. Il existait des caisses communes locales pour subvenir aux besoins des plus pauvres, d’abord aux pauvres chrétiens puis peu à peu, à partir de la seconde moitié du 3° siècle, au fur et à mesure du développement des communautés, à des pauvres locaux. Les croyants étaient stimulés pour donner mais chacun restait libre : la vocation des biens matériels est, pour les chrétiens, celle du partage avec les autres et d’aider le prochain. Le chrétien doit posséder plus pour ses frères que pour lui-même (p 123) . Une manière de remplir ces caisses étaient de jeûner et de donner ce qui n’a pas été utilisé pour la nourriture. Ces caisses permettaient d’être solidaires en particulier pour les funérailles et la gestion des cimetières.
Les documents disponibles montrent que la gestion de ces caisses n’a pas été indemne de détournements, en particulier des prédicateurs itinérants qui s’installaient en parasites dans les communautés. La rémunération des prêtres est aussi un sujet de tensions à partir du 3° siècle. Les responsables d’églises ne cessent d’appeler leurs membres à ne pas aimer l’argent - tentation de tous les temps.
La conclusion de l’auteur est intéressante. Il affirme que les chrétiens ont été un moteur de changement social par une morale exigeante (morale individuelle mise en œuvre dans un cadre communautaire qui privilégie l’aide aux pauvres) et par une perspective d’évangélisation universelle (p 155). Il y a là un enseignement qui reste très actuel et devrait nous mobiliser davantage les croyants. La dimension économique et son modèle de fonctionnement n’est ainsi pas dissociable de la prédication chrétienne. Cette articulation semble bien souvent oubliée aujourd’hui.