Dans son ouvrage Le partage, Jonathan Cornillon nous offre une exploration minutieuse des mécanismes économiques qui structuraient les premières communautés de fidèles, depuis l'entourage de Jésus jusqu'aux assemblées du IIIe siècle. La question au cœur de cette recherche peut se formuler ainsi : comment les chrétiens des origines ont-ils concrètement organisé leurs rapports aux biens matériels ?
Le parcours s'amorce par l'examen du cercle formé par Jésus et ses compagnons. Loin du mythe d'un Christ embrassant une indigence totale, Cornillon met en lumière l'existence d'« une forme de propriété communautaire » (p. 45) qui garantissait à chaque membre une subsistance décente. Cette organisation collective s'avérait suffisamment robuste pour soutenir diverses actions caritatives, l'épisode de la multiplication des pains, avec la discussion sur la possibilité d’aller acheter le pain (Mc 6, 35-37 et Lc 9, 12-14), en constituant un exemple emblématique.
L'auteur poursuit son investigation en scrutant les pratiques des communautés post-pentecôtales. Il analyse la mise en commun des ressources au sein du groupe de Jérusalem, qu'il met en perspective avec les usages des cercles esséniens contemporains. Refusant de réduire ces récits à de simples constructions littéraires idéalisées, Cornillon avance des arguments solides pour défendre leur ancrage historique : « tout concorde... pour donner de la crédibilité au tableau qu'a fourni l'auteur des Actes » (p. 67).
Le texte s'attarde ensuite sur les collectes orchestrées par Paul en faveur des nécessiteux de Jérusalem, soulignant leur caractère novateur : « par rapport aux collectes effectuées dans l'Antiquité, celle de l'apôtre Paul se distingue par le fait qu'elle ait demandé à tous et non pas simplement aux plus riches, chacun donne selon ses moyens » (p. 87). J. Cornillon décortique également les stratégies de financement déployées par Paul pour soutenir sa mission, mettant en relief la tension constante entre autonomie personnelle et soutien communautaire. Il distingue ainsi le travail pour la subsistance personnelle et le recours aux dons pour le logement et les voyages (p. 89).
Les sections suivantes retracent l'évolution de ces pratiques jusqu'au IIIe siècle, période marquée par une profonde métamorphose dans l'organisation matérielle des communautés. L'auteur montre comment la mutualisation radicale des ressources s'est progressivement effacée au profit d'une charité institutionnalisée, s'étendant au-delà du cercle des croyants.
En conclusion, Cornillon s'interroge sur l'impact social du christianisme des origines. Sans porter un projet politiquement révolutionnaire, les premiers groupes chrétiens ont néanmoins élaboré « la perspective de produire d'autres rapports sociaux, à défaut de produire d'autres structures sociales » (p. 193). Leur modèle économique relativisait la propriété individuelle tout en instaurant des mécanismes concrets de solidarité.
Un apport significatif à la compréhension des origines chrétiennes
Le partage représente une contribution précieuse à notre compréhension des racines du christianisme. L'analyse se distingue par sa rigueur méthodologique et son souci d'éviter toute projection contemporaine sur les réalités anciennes.
On peut toutefois regretter l'absence d'une contextualisation plus étendue des pratiques économiques chrétiennes dans l'univers gréco-romain. Un parallèle plus développé avec d'autres groupements religieux ou corporatifs de l'époque aurait permis de mieux cerner l'originalité de l'approche chrétienne.
Par ailleurs, certaines dimensions mériteraient un traitement plus approfondi, notamment les frictions sociales au sein des communautés mixtes rassemblant nantis et démunis. Les tensions évoquées dans la correspondance corinthienne concernant les agapes communautaires auraient gagné à être davantage explorées.
Ces quelques réserves n'entament en rien la valeur d'un ouvrage qui renouvelle notre perception des dimensions socio-économiques du christianisme primitif. En démontrant que la mise en commun des biens constituait une pratique effective plutôt qu'une simple utopie textuelle, Le partage invite à reconsidérer la dimension potentiellement subversive du message chrétien dans son environnement d'origine.