L'entraînement et la grâce

Clément Binachon
Edition du Cerf
Gilles Berrut
25 avril 2025
Relecture :
Essai
Temps de lecture :
1
'

L'entraînement et la grâce

Clément Binachon

Edition du Cerf, 2025

Quand sport de haut niveau et spiritualité font la paire

Le nouvel essai de Clément Binachon, publié aux Éditions du Cerf, s'aventure sur un terrain peu exploré : le parallèle entre discipline sportive et cheminement spirituel. Prenant comme point de départ les prouesses olympiques du nageur Léon Marchand à Paris 2024, "L'entraînement et la grâce" tisse habilement des liens entre préparation physique et ascèse chrétienne.

Binachon s'empare d'une comparaison utilisée par Saint Paul - "tous courent dans le stade, mais un seul remporte le prix" - pour développer sa pensée. De façon assez ingénieuse, il établit trois profils spirituels calqués sur notre rapport à la natation: les ignorants qui ne savent pas "nager" dans les eaux de la charité, les amateurs qui connaissent les bases mais barbotent sans réelle ambition, et enfin les "professionnels" qui s'investissent quotidiennement pour progresser.

La question centrale qu'explore l'auteur touche à l'importance de l'effort personnel dans notre progression spirituelle, notamment durant la période du Carême. Il s'attaque aux idées reçues concernant les pratiques ascétiques chrétiennes, soulignant que se priver n'est jamais un but en soi. Tout comme Marchand n'accumule pas les kilomètres dans le bassin par pure souffrance, mais pour viser l'excellence, le chrétien ne jeûne pas pour souffrir, mais pour muscler sa capacité d'aimer.

La perspective de Binachon rajeunit considérablement la notion d'ascèse, qu'il rebaptise "musculation du cœur". Les pratiques traditionnelles du Carême deviennent alors des séances d'entraînement nécessaires au développement de notre aptitude à aimer. Ce n'est pas tant l'exercice qui compte, insiste-t-il, mais bien la métamorphose intérieure qu'il provoque.

Dans ses derniers chapitres, l'auteur propose plusieurs repères pour jauger la qualité de nos pratiques spirituelles : privilégier l'humilité du publicain plutôt que l'autosatisfaction du pharisien, cultiver un zèle nourri par l'amour plutôt qu'un activisme amer, favoriser l'ancrage communautaire plutôt que l'individualisme spirituel, et redécouvrir la joie dans l'effort plutôt que la rigidité du devoir. Paradoxalement, les efforts motivés par l'amour deviennent source d'allégresse plutôt que de contrainte.

Le récit se referme sur la figure bouleversante de Joséphine Bakhita, cette esclave soudanaise devenue sainte, dont le parcours d'ascèse l'a menée à un pardon stupéfiant: "Je baiserais les mains de ceux qui m'ont torturée, car sans eux, je ne serais ni chrétienne, ni religieuse."

Par sa concision et sa clarté, ce livre rend accessible une réflexion théologique substantielle sur la dimension de l'effort dans la vie spirituelle. En s'appuyant sur l'exemple populaire de Léon Marchand, Binachon jette un pont entre l'univers sportif contemporain et la tradition chrétienne. Il nous rappelle avec force que la charité véritable n'est pas une simple bienveillance de façade, mais bien "l'irruption de la vie divine au cœur de notre existence" - un état qui exige, comme toute discipline d'excellence, un entraînement assidu.

À l'heure où la valorisation de l'effort cède souvent le pas au culte de l'épanouissement instantané, cet ouvrage nous rappelle avec pertinence que la "médaille d'or" de l'amour divin ne se gagne pas sans quelques longueurs d'entraînement spirituel.

Pour lire le livre