Les femmes et la musique au Moyen-âge

Anne Ibos-Augé
editions du Cerf
Rédigé par :
Gilles Berrut
15 octobre 2025
Relecture :
Arts et culture
Temps de lecture :
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Les femmes et la musique au Moyen Âge

Anne Ibos–Auge

Éditions du Cerf, 2025, 285 p.

Le livre « les femmes et la musique au Moyen Âge », nous découvre un pan presque oublié de l’histoire de la musique : les femmes compositeurs, copistes et enlumineuses pendant la période médiévale. Mise à part Hildegarde de Bingen, les autres sont simplement oubliées. Le travail méticuleux de l’auteure nous permet d’avoir accès à l’histoire et surtout à l’œuvre de ces femmes.

Anne Ibos Auge est Docteure en musicologie, Maître de Conférence, agrégée et diplômée du Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de l’Université de Poitiers et chercheure associée à l’Institut de Recherche en Musicologie (IREMUS) de la Sorbonne Université. Après avoir dirigé la réalisation d’une base de données sur les refrains médiévaux, elle travaille actuellement à une indexation des chansons de trouvères. Ses travaux portent sur la relation entre la littérature et la musique médiévales dans les deux aires linguistiques d’oc et d’oïl

Ce livre s’organise en trois parties.

Une première s’ouvre sur la figure d’Hildegarde de Bingen (p 63–75), théoricienne, visionnaire, à la créativité remarquable, en particulier dans les Symphonia Armonie Celestium revelationum (p 69) et ses 77 pièces. Puis Herrade de Hohenburg (p 33–38), Abbesse au savoir encyclopédique, Elisabeth de Lünen (p 97–105), copiste et enlumineuse dont les graduels ont été signés de sa main attestant d’un savoir-faire exceptionnel. Enfin des béguines, telle que Hadenwijch d’Anvers (p 45–52) qui mêle dévotion, et, par contraste avec les moniales déjà citées, lyrisme courtois, grâce à la liberté relative de leur statut. Cette liberté qui leur permettra également de transmettre leurs œuvres. Dans cette période contemporaine des mystiques rhénans et d’effervescence religieuse, où musique et vision sont souvent associées. Ceci est vrai pour Mechtilde de Hackeborn ou Gertrude de Helfta (p 76-82).

La deuxième partie nous transporte dans la société profane. On y découvre les « trobairitz » et les « Troveresses » à la fois poétesse et compositrices. Les interdits sociaux exerçant une censure active, elles ne peuvent signer leurs œuvres, renforçant leur invisibilité. On peut malgré tout citer Azalaïs de Montpellier en Langue d’oc ou Maroie de Diergnau en langue d’oïl. Les Ménestrelles qui pratiquent en plus un instrument complètent le tableau.

La troisième partie, originale, évoque les figures féminines au travers de leur représentation dans l’iconographie et la littérature, champ  interdisciplinaire exploré par A Ibos-Auge. Bien sûr Yseult a une place de choix, elle propose des « Lais mortels » (p 105). L’art et la musique sont représentés par des muses portant lyre ou orgue (p 216-220). Les ambivalences de ces représentations, les font idéaliser en Vierge-Marie, modèle de pureté, ou Eve, la tentatrice.

L’auteure, avec la solidité d’une universitaire, construit sa description sur de nombreuses sources variées (chartes, manuscrits, chroniques, par exemple) nous donnant accès à un appareil documentaire exceptionnel. Les documents sont utilisés avec rigueur en faisant croiser les statuts de ces femmes (moniale, béguines, nobles mécènes) en évitant les généralisations, mais en fondant les affirmations sur des exemples précis.

On peut noter un équilibre géographique avec un accent qui est surtout mis sur l’occident chrétien (France, Allemagne, Pays-Bas), alors que l’Espagne musulmane est absente. De même l’Italie n’est pas représentée, malgré des figures reconnues telle Francesca de Rimini, par exemple. La date limite de 1430, donnée pour ce travail semble peut-être arbitraire et il aurait été possible d’englober l’ensemble du XVe siècle, avec des manuscrits importants tels que celui des « Riches heures de Jeanne de France ».

Son chapitre sur les manuscrits musicaux féminin (p 97–105) est particulièrement novateur mettant en lumière certaines compositrices qui signaient leurs œuvres, telle que Gisela de Kerzenbroeck.

Ainsi ce livre est un hommage et aussi une réparation. Une manière savante et élégante de reconnaître ces femmes aux œuvres fondatrices pour l’ensemble de l’histoire de la musique.

Leurs talents et leur travail ont été trop longtemps maintenus dans le silence, ce qui est le comble pour des musiciennes.

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