Catherine Denis, ancienne médecin reconvertie en théologienne moraliste à l'Université catholique de Lyon, présente dans cette publication issue de sa recherche doctorale un apport aux discussions actuelles concernant la différence de genre. Experte en bioéthique et morale affective, elle relève un défi de taille : réexaminer l'héritage de Karl Barth afin d'élaborer une éthique relationnelle homme-femme adaptée aux interrogations contemporaines sur l'identité de genre et la pluralité sexuelle.
Le livre s'organise autour d'une proposition fondamentale : l'établissement d'une analogia relationis trinitaire lors de la genèse de l'humanité sexuée. Catherine Denis développe cette réflexion selon une organisation trinitaire. Le premier volet examine la création en tant que « première manifestation de l'œuvre divine trinitaire », démontrant que « l'être humain se caractérise également comme un face-à-face et sa condition de créature se manifeste, non seulement en tant que réalité pleinement achevée, mais également et principalement comme un processus relationnel évolutif inscrit dans l'histoire ». Cette analogia relationis lie « de manière cruciale la formation de l'humain comme interlocuteur de Dieu, et sa constitution comme partenaire de son prochain, particulièrement de l'autre genre ». La deuxième section analyse l'accomplissement christologique de cette analogie, où « la cohumanité de l'homme et de la femme en dialogue se dévoile comme le domaine premier et modèle de la cohumanité ». L'auteure démontre de quelle façon la relation entre Jésus et sa communauté réalise concrètement l'analogie trinitaire établie par la création. Le troisième volet élabore l'éthique comme « mission de l'Esprit », proposant trois balises : l'humain demeure « homme ou femme », « homme et femme », et cette relation s'organise selon une « priorité » qu'il convient d'interpréter.
Le dernier volet représente la contribution la plus novatrice de l'œuvre. Catherine Denis confronte avec audace l'éthique barthienne aux objections féministes de Phyllis Bird, Elisabeth Schüssler Fiorenza et Rosemary Radford Ruether, ainsi qu'aux théologies favorables au mariage homosexuel d'Eugene Rogers. Cette confrontation permet de transcender certaines restrictions de Barth tout en conservant la richesse de son approche relationnelle.
L'auteure admet que Barth demeure « fortement influencé par une interprétation traditionnelle, patriarcale des Écritures » quand il soutient « une prééminence masculine et une subordination féminine ». Néanmoins, elle établit que cette lecture peut être dépassée : « cet arrangement n'est établi que superficiellement dans un contexte spatio-temporel restreint et n'implique aucune inégalité fondamentale ».
Ce livre constitue l'aboutissement d'un cheminement intellectuel cohérent. Les travaux précédents de Denis en bioéthique et théologie morale trouvent ici leur convergence dans une anthropologie théologique d'ampleur. Membre de la communauté du Chemin Neuf et du comité d'éthique de l'hôpital St Joseph St Luc, elle conjugue pratique pastorale et exigence académique. Mgr Philippe Bordeyne, codirecteur de cette thèse, note dans son introduction que cette étude « procure au lectorat francophone une perspective d'ensemble véritablement unique au sujet du troisième tome de la Dogmatique [de Karl Barth] consacré à la doctrine créationnelle ».
L'ouvrage soutient trois propositions centrales. Premièrement, l'humanité sexuée forme une « analogie relationnelle » avec la Trinité, non hiérarchique mais relationnelle.
Deuxièmement, cette différenciation ne confine pas dans des fonctions figées mais « encourage chaque personne humaine à décrypter cette énigme en acceptant d'être et d'exister comme homme ou comme femme dans son parcours personnel ».
Troisièmement, cette éthique relationnelle suggère une « approche qui se démarque tant de l'éthique conventionnelle que de l'éthique individualiste actuelle ».
Denis concilie avec finesse nature et histoire, sexe et genre, en montrant que « la dualité humaine, homme et femme, se présente d'emblée comme une énigme pour l'un comme pour l'autre ». L'éthique naît de cette énigme, rejetant aussi bien la complémentarité contrainte que l'androgynie contemporaine.
L'ouvrage révèle des qualités exceptionnelles. La compréhension de l'œuvre barthienne impressionne, l'architecture théologique reste cohérente, et l'échange avec les théologies féministes se montre courageux et équilibré. Denis évite le piège d'un barthisme orthodoxe comme celui d'un féminisme radical, recherchant une voie intermédiaire fructueuse.
Toutefois, quelques limites se manifestent. L'herméneutique barthienne, malgré les ajustements proposés, conserve ses présupposés androcentrés.
L'ouvrage n'en constitue pas moins un apport intéressant mené avec maitrise ettraçant des voies prometteuses pour une anthropologie théologique relationnelle, sensible autant à l'héritage qu'aux questionnements actuels.