Saint Dumitru Stăniloae, Père de l’Église contemporaine

Ciprian Costin Apintilesei
Edition du Cerf
Rédigé par :
Gilles Berrut
23 novembre 2025
Relecture :
Biographies
Spiritualité
Temps de lecture :
1
'

Saint Dumitru Stăniloae, Père de l’Église contemporaine

Sous la direction de Ciprian Costin Apintilesei

Edition du Cerf, 2025, 270 p.

Il y a des livres qui ne se contentent pas d’analyser une pensée, mais qui la font revivre sous nos yeux. Saint Dumitru Stăniloae, Père de l’Église contemporaine, sous la direction de Ciprian Costin Apintilesei, en fait partie. À travers une mosaïque d’articles signés par des théologiens et des chercheurs, cet ouvrage publié au Cerf nous plonge dans l’univers d’un géant de la spiritualité orthodoxe, dont l’influence dépasse largement les frontières de la Roumanie. Canonisé il y a peu, Stăniloae y apparaît non comme une figure lointaine, mais comme un guide dont les intuitions résonnent avec une surprenante actualité.

Ce qui frappe d’emblée, c’est la manière dont ce recueil restitue l’essence même de la démarche stăniloéenne : une théologie qui n’est ni un discours abstrait ni un système figé, mais une expérience. Les contributeurs insistent sur ce point : pour Stăniloae, dogmes et mystique ne font qu’un. Sa Dogmatique orthodoxe, souvent présentée comme son chef-d’œuvre, n’est pas un traité aride, mais un « dialogue avec Dieu » (p. 25) où chaque concept prend chair dans la vie de l’Église. Comme l’écrit Monseigneur Ignatie Trif, sa réflexion s’enracine dans « l’esprit des Pères » (p. 15), tout en osant des passerelles audacieuses avec les questions de son temps. On découvre ainsi un penseur qui, loin de se réfugier dans le passé, a su faire de la Tradition une source jaillissante pour éclairer le présent. « La théologie doit être à la fois apostolique et prophétique », rappelait-il (p. 28) - une conviction qui transparaît dans chaque page, où la rigueur doctrinale le dispute à une sensibilité presque poétique.

L’un des fils rouges du livre est cette idée que la foi, chez Stăniloae, se vit d’abord dans le concret. Le père Hrisostom Ciuciu parle à ce propos d’une « théologie du naturel » (p. 180), où le divin se révèle dans les gestes les plus simples. « Chaque rencontre est une parole de Dieu », affirmait le théologien (p. 185). Cette attention aux autres, ce souci de l’incarnation, donne à sa pensée une dimension profondément humaine. Les témoignages recueillis - comme celui, touchant, de Zoe Dumitrescu-Busulenga évoquant sa « dignité sacerdotale » et sa « bonté rayonnante » (p. 182) - confirment cette image : Stăniloae était avant tout un homme pour qui la théologie ne valait que si elle transformait les existences.

L’ouvrage explore aussi ses dialogues, parfois tendus, avec l’Occident. Emanuel Dobre montre comment il a su intégrer certaines avancées de la théologie catholique ou protestante, sans jamais renier son ancrage orthodoxe. Son approche de la Révélation (p. 220), par exemple, témoigne d’une ouverture rare, tout en restant fidèle à la mystique des Pères. Même ses critiques — comme celles adressées à la sophiologie de Boulgakov (p. 250) — révèlent un esprit libre, refusant tout dogmatisme stérile. Le père Marc-Antoine Costa de Beauregard va plus loin : pour Stăniloae, la compassion divine n’est pas une théorie, mais une réalité vécue, où « l’impassibilité de Dieu se fait miséricorde » (p. 145).

On appréciera particulièrement la diversité des angles abordés : herméneutique biblique (p. 123), spiritualité du repentir (p. 160), traductions patristiques (p. 190). Chaque chapitre apporte son éclairage, même si certains textes, très techniques, pourraient dérouter les néophytes. Un regret, peut-être : l’absence de regards plus distanciés, voire critiques, sur certains aspects de son héritage. Son rapport à la modernité, par exemple, aurait mérité un débat plus approfondi.

Reste que ce livre est une réussite. Il nous rappelle que Stăniloae fut bien plus qu’un érudit : un passeur, capable de rendre accessible la profondeur des Pères sans jamais la trahir. Comme le souligne le Métropolite Joseph en préface, sa sainteté était celle d’un homme qui a su « unir la fidélité à la Tradition et l’audace de la pensée » (p. 12).

Une leçon précieuse, en notre temps de spiritualité parfois désordonnée

Pour lire le livre