

Transmettre dans des contextes inédits : langages, figures et communautés
Sous la direction de François l’étang et Daniel Moulinet
Cerf Patrimoine, 2025, 240 p.
Ce Livre Transmettre dans des contextes inédits, collige des contributions de théologiens, philosophes et historiens de l’Université catholique de Lyon, afin de tenter de comprendre comment la foi chrétienne peut encore se dire.
Notre époque est marquée par des ruptures dans la transmission : sécularisation, pluralisme religieux, défis écologiques, révolution numérique.
Valérie Aubourg dresse un tableau nuancé des réactions catholiques face à ces bouleversements. Elle y distingue cinq attitudes, allant de l’innovation audacieuse au repli nostalgique, en passant par des adaptations plus discrètes (p. 15-20). Son approche évite les clichés et montre que ces postures ne sont pas étanches, mais s’entremêlent, se répondent, parfois même se contredisent.
François Lestang, lui, nous invite à une relecture de saint Paul. En s’appuyant sur des passages comme Rm 8, 22 (« la création gémit ») ou Col 1, 17 (« tout subsiste en lui »), il révèle une dimension écologique insoupçonnée dans les écrits de l’apôtre. Sans forcer le trait, il suggère que la vision paulinienne d’un cosmos uni en Christ pourrait inspirer une spiritualité plus respectueuse de la Terre (p. 30-35). Une idée qui, à l’ère de l’urgence climatique inciterait à penser l’écologie dans une cohérence christique.
Daniel Moulinet, spécialiste de catéchèse, retrace quant à lui l’histoire mouvementée de l’enseignement religieux en France. Son constat est implacable : entre dogmatisme rigide et pédagogies trop laxistes, la catéchèse peine à trouver son équilibre. Comment transmettre une foi quand la culture qui la portait a disparu ? Comment concilier fidélité à la tradition et attentes des nouvelles générations ? Autant de questions qui traversent son chapitre, sans qu’il ne tombe jamais dans le pessimisme stérile.
L’autre, ce miroir qui nous dérange
L’un des atouts majeurs de ce livre est son ouverture à l’altérité. Michel Younès et Robert Cheaib, notamment, explorent la manière dont la présence musulmane en Europe bouscule les chrétiens. Pour Younès, le dialogue interreligieux n’est pas une option, mais une nécessité : il pousse les croyants à clarifier leur propre foi, à en redécouvrir les richesses parfois oubliées. Cheaib, de son côté, insiste sur le pouvoir de l’imagination et des récits. Selon lui, évangéliser aujourd’hui, c’est d’abord « éveiller l’imaginaire » (p. 85), redonner vie aux symboles et aux histoires qui ont façonné la tradition chrétienne. Une idée qui rejoint les intuitions de Newman ou de Balthasar, pour qui la beauté et le mystère sont des chemins vers Dieu.
Emmanuel Gabellieri aborde un sujet brûlant : la crédibilité de l’Église, mise à mal par les scandales et les dérives de certaines communautés. Comment annoncer l’Évangile quand ceux qui devraient en être les premiers témoins le trahissent ? Sa réponse, inspirée de Maurice Blondel, est exigeante : une apologétique digne de ce nom doit montrer que le christianisme répond aux aspirations les plus profondes de l’homme, sans jamais édulcorer sa radicalité (p. 105).
Au-delà de la raison : la force du témoignage
Plusieurs auteurs soulignent que la transmission ne peut se réduire à un exercice intellectuel. Pascal Marin, philosophe, rappelle que l’ère du tout-numérique et de l’intelligence artificielle nous confronte à une question fondamentale : qu’est-ce qui, dans l’homme, échappe à la logique des machines ? Sa réponse est claire : la foi, comme le pardon ou l’amour des ennemis, relève d’une « folie » qui dépasse l’entendement (p. 120). Une folie nécessaire, sans laquelle la transmission n’est qu’un vain mot.
Marie-Hélène Robert, pour sa part, s’interroge sur ce qui fait qu’un témoignage est reçu… ou rejeté. Elle montre que les chiffres de baptêmes ne suffisent pas à mesurer l’impact de la Parole. Ce qui compte, c’est la manière dont elle transforme les cœurs, dont elle construit des communautés vivantes (p. 140). Une idée qui résonne particulièrement à une époque où l’Église est tentée de mesurer son succès en termes de performance.
Gonzague de Longcamp, enfin, s’appuie sur les travaux de Ratzinger pour rappeler que la transmission est d’abord une affaire de communauté. Dans une société où les liens se distendent, l’Église a plus que jamais besoin de « tisser du lien » (p. 115), de créer des espaces où la foi peut s’enraciner et grandir.
Un livre qui interroge autant qu’il éclaire
Transmettre dans des contextes inédits est un ouvrage riche, parfois dense, mais toujours stimulant. Son principal mérite ? Refuser les réponses toutes faites. Les auteurs évitent soigneusement deux écueils : le traditionalisme sclérosant et l’adaptation pure et simple aux modes du moment. Leur approche, à la fois ancrée dans la tradition et ouverte au monde, est rafraîchissante.
On pourrait cependant leur reprocher un certain manque de concret. Certains chapitres, très théoriques, laissent le lecteur sur sa faim : comment traduire ces réflexions en actions pastorales ? Par ailleurs, si la crise écologique et le dialogue interreligieux sont bien traités, d’autres enjeux – comme la place des femmes ou la gestion des abus – sont à peine effleurés. Dommage, car ils sont des composantes essentielles du défi actuel de l’annonce de l’Évangile
Pourquoi lire ce livre ?
Parce qu’il ose poser les bonnes questions et refuse les faux-semblants. Également parce qu’il rappelle que transmettre la foi, c’est d’abord croire en sa capacité de transformation. Dans un monde où tout semble aller trop vite, où les repères s’effritent, cet ouvrage ne donne pas de recettes miracles, mais offre des pistes, des éclairages, et surtout, une raison d’espérer.
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